Infirmiers en Pratique Avancée : le regard des patients - L. Cimar - B. Denis

[« Notre santé est chose bien trop importante pour la laisser aux seuls médecins »] Voltaire


Autorisons-nous une interprétation contemporaine de ces propos, aujourd’hui susceptibles de sous-tendre deux propositions complémentaires : en premier lieu, la santé est avant tout l’affaire du patient, elle doit être laissée entre ses mains puisqu’il est le premier concerné. Mais en second lieu, il convient désormais d’assurer une prise en charge multiprofessionnelle de la santé des citoyens par un partage des tâches. Cette citation de Voltaire traduit parfaitement la nouvelle ère qui s’ouvre pour le système de santé français au sein duquel une profonde redistribution des rôles s’opère. Ce mouvement entamé au début du XXIème siècle avec la loi Kouchner vise à l’affirmation de la démocratie en santé qui reconnaît au patient une place centrale et qui insère progressivement les maillons manquants dans la chaîne de compétences des professionnels de santé. La création dans la profession d’infirmiers de l’exercice en pratique avancée participe à l’évidence de cette évolution et aura sans nul doute des incidences pour le patient tant dans le cadre de la relation de soins, que dans celui plus global de son parcours de santé.

1 - Les infirmiers en pratique avancée dans la relation de soins

1-1- Des avantages indéniables pour les patients
Le premier apport de cet exercice en pratique avancée par l’infirmier est un temps soignant partagé quantitativement et qualitativement plus important. Le rôle fondamental de l’Infirmier en Pratique Avancée (IPA) découle de sa qualité même puisqu’il est le professionnel de santé qui se trouve au plus près du patient, mais aussi de sa famille, dans les pathologies chroniques concernées. En découle l’espérance d’une prise en compte de la singularité du patient et donc d’une meilleure connaissance globale. Mais l’IPA participera aussi à l’autonomisation de l’usager par une meilleure information issue d’un processus de concertation, ce qui devrait permettre une implication plus importante du patient dans la décision médicale qui se veut aujourd’hui partagée. Dans les pays dans lesquels les IPA ont déjà été mis en place, les patients sont particulièrement satisfaits, notamment parce que l’infirmière passe plus de temps que le médecin pour répondre à leurs questions. En ce sens, la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 comporte un domaine d’action prioritaire qui est de réaffirmer la place des usagers dans le système de santé notamment par leur participation aux processus de décision.
Le second apport majeur des IPA est de permettre de nouvelles modalités de prise en charge des malades fondées sur une confiance et un partenariat étendus, constituant ainsi un réel progrès dans les rapports entretenus entre les patients et les nombreux professionnels de santé impliqués. Le renforcement de l’exercice en équipe par la création de structures coordonnées contribuera à la transformation de la relation de soins, du colloque singulier qui deviendra pluriel. En découle l’avènement d’un véritable partenariat enrichi de l’expertise de nouveaux acteurs puisque l’on peut envisager que l’accompagnement assuré par l’IPA puisse bientôt être complété par celui d’autres auxiliaires médicaux, ainsi que par des patients également partenaires qui pourront en aider d’autres face à une situation médicale inédite, ou témoigner de leur vécu devant et avec les professionnels. Bien évidemment, cela suppose la mise en place de formations adéquates qui permettront pour les uns l’apprentissage de gestes techniques en vue du traitement, de son suivi et de son adaptation, et pour les autres, le développement de programmes d’accompagnement dédiés au sein d’Universités Des Patients.

1-2- Les craintes inévitables des patients
Cette mutation profonde de la relation de soins désormais engagée soulève toutefois de nombreux questionnements. Ainsi, les patients accepteront-ils facilement cette nouvelle forme de prise en charge au regard du lien de confiance tissé avec leur médecin ? Il est en effet possible de craindre que ne soit perçue une dilution des rôles, des responsabilités, par la multiplication des intervenants pour des tâches similaires. En outre, quelle latitude auront les patients pour refuser une telle prise en charge qui n’a rien d’obligatoire pour eux, sans crainte pour leur suivi thérapeutique postérieur ? Une inquiétude spécifique est aussi à mentionner pour les personnes âgées visées pour l’exercice en pratique avancée, souffrant de polytpathologies, dont la compréhension des rôles respectifs des intervenants risque d’être malaisée. Des craintes sont également manifestées à propos du partage effectif de l’information médicale entre tous les intervenants, et ce malgré le développement futur espéré du dossier médical partagé.
Mais des questionnements se font également jour à propos du champ d’application et du contenu de l’exercice en pratique avancée. Les patients s’interrogent notamment sur la notion de pathologie chronique « stabilisée » pour des maladies pourtant dites évolutives ? Faut-il comprendre que le caractère « stabilisé » découlera de l’appréciation du seul médecin, en concertation avec l’IPA ? De même, ce dernier peut-il seulement prescrire dans le cadre du suivi ou de l’adaptation du traitement un changement de dose ou un nouveau générique à même dose, puisqu’il a la possibilité de prescrire pour tout « produit de santé » ?

2 – Les infirmiers en pratique avancée dans le parcours de santé

2-1- Des avantages indéniables pour les patients
La mise en place des IPA correspond au besoin d’un suivi élargi et global offert aux patients face aux changements démographiques, sociaux et économiques et à la chronicisation de nombreuses maladies. Se repérer dans un système de soins complexe et coordonner les multiples acteurs pour la prise en charge tant au domicile qu’en établissements médicaux ou sociaux, permettra d’éviter que les plus vulnérables ne renoncent aux soins. Or les IPA sont censés apporter les repères adéquats aux patients, car leurs tâches ne sont pas seulement orientées sur la prise en charge de premier recours, mais aussi sur l’écoute, la prévention, l’éducation et l’aide aux démarches. Ils assureront donc désormais un rôle essentiel de coordination dans l’organisation des parcours de santé et contribueront à faire des patients de véritables acteurs au sein de ce système. Cette nouvelle organisation peut conduire à garantir un meilleur accès aux soins de qualité et une fluidification des parcours entre ville et hôpital.

Les patients pourront ainsi bénéficier de professionnels infirmiers ayant de nouvelles perspectives de carrière, jouissant d’un mode d’exercice plus autonome et d’une reconnaissance renforcée, mais aussi par voie de conséquence, de médecins plus disponibles agissant dans une coopération constante. À plus grande échelle, l’enjeu est de proposer aux usagers un système de santé disposant de structures d’exercice coordonnées et d’une coopération renforcée entre professionnels au niveau des territoires de santé et à tous les stades du parcours de santé. Mais cette nouvelle organisation ne sera possible que si bien évidemment tous jouent le jeu…

2-2- Les craintes inévitables des patients
Beaucoup redoutent que l’on ne demande trop aux IPA, lesquels ne sauraient remplacer tout à la fois le médecin, le cadre de santé, l’assistante sociale, et combien d’autres intervenants du système de santé ? Cette réforme ne doit pas être un trompe-l’œil pour les intéressés, en faisant miroiter aux infirmiers une évolution de carrière et une meilleure reconnaissance à salaire constant, pour pallier les défaillances du système et les prises en charge défectueuses du fait d’un manque de temps, de volonté et de moyens. Les patients seront donc vigilants, en qualité d’usagers, d’acteurs et de citoyens, et veilleront à ce que les pouvoirs publics ne se défaussent pas de leur responsabilité dans un système de santé malmené par les coupes budgétaires.
Il faut en effet s’assurer que cette reconnaissance de nouveaux rôles dévolus aux IPA et aux autres auxiliaires médicaux, mais aussi aux patients partenaires et aux aidants familiaux, soit un premier pas vers la réintroduction de l’humain et de l’humanité dans une relation, un parcours d’où ils n’auraient jamais dû disparaître…

Bernard DENIS
Président de l’Université des Patients Auvergne Rhône-Alpes

En collaboration avec
Laurence CIMAR
Maître de conférences à la Faculté de droit de l’Université Grenoble Alpes, SFR Santé et Société
http://www.sfr-sante-societe.net

Bibliographie

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